Utilisation des prisonniers

Après la Libération, la France se relève de quatre années d’occupation allemande, où les privations alimentaires et les pénuries matérielles ont été intenses (elles le sont encore en partie jusqu’à la fin de la décennie), et de quatre années où plus d’un million et demi de Français prisonniers de guerre dans le Reich ont manqué à l’économie nationale et au bon fonctionnement du pays. Bien avant la libération du territoire, il est question des enjeux que représentent les soldats de l’Axe capturés. Enjeu national : la France, dès sa libération, veut renforcer et afficher clairement son statut de pays victorieux et se doit de recréer une cohésion nationale. Enjeu idéologique : la France veut prouver la supériorité des démocraties républicaines face au national-socialisme, et le traitement des captifs ne doit pas ressembler aux actes brutaux perpétrés par l’Armée allemande et alors reprochés par les communautés internationales. Enfin, enjeu économique puisque les centaines de milliers de prisonniers de guerre vont servir à la reconstruction du pays.

Les prisonniers sont utilisés très vite en fonction des besoins prioritaires de leur environnement proche : transferts de matériel allié, travaux logistiques, interventions portuaires ou ferroviaires pour le bon ravitaillement des troupes de libération, etc. Comme partout en France, des prisonniers de Besançon sont amenés à travailler au dépôt même. Différentes tâches sont nécessaires et plusieurs corps de métiers doivent y figurer, présentant un savoir-faire indispensable au fonctionnement quotidien du camp : personnel d’entretien, cuisiniers, artisans, tailleurs, cordonniers, etc. Des prisonniers sont médecins, infirmiers ou dentistes. L’administration du dépôt a aussi besoin de personnel : des chauffeurs, des interprètes et traducteurs, des comptables, des aumôniers ainsi que des prisonniers en charge de l’organisation de la vie culturelle du camp. L’ensemble des prisonniers rattaché à un dépôt est représenté par un homme de confiance : leur Hauptvertrauensmann, lui-même prisonnier de guerre. Celui-ci a un rôle essentiel : il est chargé de les informer de leurs droits, de les tenir au courant de l’actualité ou de prendre en compte leurs doléances. C’est un soutien moral extrêmement important. Il incarne le lien entre les prisonniers et les administrations ou autorités françaises, à savoir le commandement du camp et même au-delà.

D’autres prisonniers sont choisis par des employeurs et amenés à travailler en dehors du dépôt. Pour celui de Besançon, les sources sont peu nombreuses et ne peuvent nous aider à comprendre en détail les tâches effectuées. Les comptes-rendus de visites de la Croix-Rouge renseignent sur les effectifs employés ou la nature des différents commandos de travail et les témoignages d’anciens prisonniers nous éclairent sur les missions qui leur étaient confiées et leurs conditions de réalisation.

Dans les premiers temps, les captifs de la citadelle sont envoyés travailler en différents lieux : à la gare de la Mouillère pour charger ou décharger des trains le matériel ou l’essence nécessaires aux Alliés ; au cimetière de Saint-Claude pour enterrer les prisonniers décédés ; réparer des chars ou des camions disposés dans les casernes militaires ; déminer des terrains (bien que ce soit interdit par la Convention de Genève), etc.

Le rapport du Comité International de la Croix-Rouge daté du 15 décembre 1945 compte 4 416 hommes dépendant du Dépôt 85 répartis comme suit :

  • 636 PGA en commandos de forestage
  • 700 PGA en commandos militaires
  • 380 PGA en commandos de travaux publics et industries
  • 2 700 PGA en commandos agricoles[1]

Plus de la moitié des hommes sont embauchés dans l’agriculture. La proportion est encore plus forte en avril 1946 : sur les 3 688 PGA du Dépôt 85 regroupés en commandos,

  • 355 sont en commandos de forestage
  • 573 en commandos militaires
  • 210 en commandos de travaux publics et industries
  • 2 550 en commandos agricoles[2]

Ce sont cette fois les deux tiers des effectifs qui sont affectés aux travaux agricoles. C’est supérieur à la moyenne nationale : en 1946 en France, près de 40% des PGA travaillent dans le secteur agricole[3]. Cela peut certainement s’expliquer par le caractère rural de la Franche-Comté, où l’agriculture joue un rôle capital. De plus cette même année, de tous les prisonniers allemands de France travaillant dans le secteur agricole, 10,4% d’entre eux sont localisés dans la région militaire n°8, soit la plus forte concentration nationale.[4]

 

Dans un contexte économique difficile, où le pays se relève de l’Occupation, ces hommes parfois perçus comme les symboles de la victoire sont vite utilisés comme main-d’œuvre dans différents secteurs professionnels. Ils représentent 2,3% de la population active de 1945 à 1948[5]. Les conditions d’exploitation des prisonniers sont strictes et encadrées par les autorités militaires.

 


[1] Compte-rendu du CICR suite à la visite du Dépôt 85 par M. E. FILLIETTAZ le 15 décembre 1945, Archives CICR, Genève, p.2.
[2] Compte-rendu du CICR suite à la visite du Dépôt 85 par M.A BONIFAS le 26 avril 1946, Archives CICR, Genève, p.2.
[3] THEOFILAKIS (Fabien), « Les prisonniers de guerre allemands en mains françaises dans les mémoires nationales après 1945 », in La réconciliation franco-allemande, les oublis de la mémoire, Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique. N° 100, janv. fév. mars 2007. 195 pages, p.69.
[4] THEOFILAKIS (Fabien), Les prisonniers de guerre allemands, France, 1944-1949, Paris, Fayard, 2014, 756 pages, p.234.
[5] THEOFILAKIS (Fabien), « Il est si gentil Rodolph ! », in PATHE (Anne-Marie dir.) et THEOFILAKIS (Fabien dir.), La captivité de guerre au XXème siècle – Des archives, des histoires, des mémoires. Paris, Armand Colin, 2012, 374 pages, p. 201.