Besançon : entre phénomène de masse et droit international

La Seconde Guerre mondiale est le conflit le plus meurtrier de toute l’Histoire. La nature des combats, la durée et l’ampleur de la guerre voient naître un phénomène de masse, plus important encore que dans les précédents conflits : la captivité de guerre. On compte 5 000 000 de prisonniers de guerre soviétiques, 1 800 000 Français, 1 336 000 Italiens, 900 000 Polonais, pour ne citer que les plus nombreux[1]. Leur sort varie en fonction de leurs détenteurs et de leurs lieux de captivité.

Après des réflexions dès la seconde moitié du XIXème siècle sur le droit et les coutumes de guerre, les premières dispositions concernant le traitement des prisonniers de guerre sont codifiées à La Haye en 1899 et 1907. Des conventions internationales obligent à traiter les captifs avec humanité. Toutefois, suite à une application insuffisante et imprécise de ces dispositions pendant le premier conflit mondial, la Convention de Genève rédigée par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) vient compléter les accords de La Haye en 1929. Il est désormais « du devoir de toute Puissance d’en atténuer, dans la mesure du possible, les rigueurs inévitables et d’adoucir le sort des prisonniers de guerre »[2] : un paradoxe absolu voit le jour dans ce contexte de guerres inhumaines.

Cette captivité touche également les forces combattant pour l’Allemagne nazie, et elle ne prend pas fin le 8 mai 1945. Des combats sur le front est du Reich ou en Afrique du Nord à ceux de la libération de l’Europe et jusqu’à la capitulation nazie, des millions de soldats de l’armée hitlérienne sont capturés et faits prisonniers de guerre : 11 094 000 hommes sont répartis dans 10 puissances détentrices (anglaises, américaines, soviétiques, françaises, yougoslaves, polonaises, belges, tchèques, hollandaises et luxembourgeoises)[3]. Captifs en temps de guerre, ils le sont également des années encore en temps de paix.

La France a gardé au total près d’un million de prisonniers de guerre de l’Axe (PGA) sur son territoire.

Provenance des prisonniers de guerre de l'Axe
Provenance des prisonniers de guerre de l’Axe

Comme le détaille ce diagramme, 63 000 d’entre eux ont été capturés en Afrique du Nord par les troupes de la France Libre, 237 000 ont été capturés par les troupes françaises et FFI dès le début de la libération de la France, tandis que 25 000 d’entre eux ont été cédés à la France par les troupes britanniques et 740 000 cédés par les forces américaines. Parmi eux, environ 907 000 sont de nationalité allemande[4].

Tout comme l’était le million et demi de prisonniers de guerre français dans le Reich pendant la Seconde Guerre mondiale, le million de prisonniers de guerre de l’Axe en France à partir de la Libération est protégé par cette même Convention de Genève de 1929, et le Comité International de la Croix-Rouge y veille. Ils sont, dès les premiers mois de leur captivité, l’objet de débats historiographiques et politiques importants.

Emprisonnés dans des camps créés dès le 6 juin 1944 en France, amenés petit à petit à travailler dans différents commandos, les prisonniers sont utilisés par la France pour reconstruire, au sens propre comme au sens figuré, le pays qui se relève de quatre années d’Occupation. Enjeux économiques et idéologiques d’un nouveau gouvernement français, la majeure partie d’entre eux seront libérés et rapatriés dans leur foyer à la fin de l’année 1948, soit plus de trois ans après la capitulation du IIIème Reich.

Si la Citadelle de Besançon est aujourd’hui le site touristique et culturel le plus visité de Franche-Comté, le destin de cette fortification militaire du XVIIème siècle est intimement lié à l’histoire nationale. Elle connait différentes fonctions à travers les siècles : place forte, casernement, prison. La volonté de VAUBAN, à travers l’édification de fortifications, de dissuader l’ennemi d’attaquer la France a permis à la population bisontine de vivre en paix plusieurs décennies.

Cette paix prend fin en 1940, seule période de son histoire où la citadelle est prise par l’ennemi : Besançon est envahie par les troupes allemandes du général Heinz GUDERIAN dès le milieu du mois de juin 1940. Aucun combat n’a lieu avec la forteresse, délaissée par l’Armée française suite à la mobilisation générale de septembre 1939. Le site devient un lieu de casernement pour une partie des forces d’Occupation stationnées à Besançon, ville de la zone interdite et en zone occupée après signature de l’armistice, mais aussi un lieu d’exécution : 100 résistants de différentes nationalités, arrêtés dans les environs et condamnés à mort après procès par le tribunal militaire allemand, y sont fusillés de 1941 à 1944[5]. L’unique bataille de l’histoire du site a lieu le 7 septembre 1944 quand les troupes américaines, aidées par des résistants locaux, bombardent et reprennent la place forte aux forces allemandes. Le monument est libéré le soir même, la ville l’est le lendemain.

Dès lors, la citadelle devient l’un des nombreux camps français destinés aux combattants du IIIème Reich capturés dès la Libération. Ces soldats, de multiples nationalités, sont désormais prisonniers. Dès le 9 octobre 1944, la place forte de VAUBAN prend le vocable officiel de Dépôt 85 sur décision du ministère de la Guerre[6]. Environ 6 500 prisonniers y transitent pendant sa période de fonctionnement, gardés en majeure partie par des troupes nord-africaines (marocaines et algériennes).

De l’hécatombe humaine des premiers mois à la naissance d’une vie culturelle dès 1946, le camp, sa nomenclature militaire et ses prisonniers connaissent d’importants changements en presque quatre ans de fonctionnement.

Le Dépôt 85 est officiellement dissout le 30 avril 1948 , les derniers captifs ayant été rapatriés dans leur foyer, transférés dans un autre camp ou ayant fait le choix de rester en France en tant que « travailleurs libres ».

Trophées de la victoire et vaincus détestés, employés, collègues ou encore amis : l’image qu’une partie de la population française a des soldats de l’Armée allemande évolue fortement pendant ces années de captivité. De ces contacts naît un renouveau des relations franco-allemandes post Seconde Guerre mondiale.


[1] DURAND (Yves), Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Bruxelles, Complexes, 1997, 988 pages, p.619.
[2] Introduction du texte intégral de la Convention de Genève de 1929.
[3] DURAND (Yves), Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Bruxelles, Complexes, 1997, 988 pages, p.619.
[4] THEOFILAKIS (Fabien), « Les prisonniers de guerre allemands en mains françaises dans les mémoires nationales après 1945 », in La réconciliation franco-allemande, les oublis de la mémoire, Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique. N° 100, janv. fév. mars 2007. 195 pages, p. 68, d’après MASCHKE, Die deutschen Kriegsgefangenen des Zweiten Weltkrieges. Eine Zusammenfassung, vol. XV, Ed. Gieseking, 1974, p.194-197.
[5] Voir l’ouvrage de VAST (Cécile), « Je vais être fusillé ce matin… » La citadelle de Besançon sous l’Occupation : lieu et symbole de la répression de la Résistance en Franche-Comté (1941-1944), Besançon, Musée de la Résistance et de la Déportation, 2014, 84 pages.
[6] Journal de marche, dossier n°18, SHD Vincennes, 7U2547.